Vous trouverez sur cette page des extraits de mes nouvelles non publiées, en cours d’écriture ou de relecture.
Aux confins de Rapa Nui
Les rayons du soleil traversaient la fenêtre à demi ouverte du laboratoire de recherche et éclairaient partiellement la table de travail de Francesca. Penchée sur du matériel archéologique, la jeune femme triait avec lenteur et précision en ensemble de petits objets en bois, décidant d’en mettre certains dans des sachets étiquetés, d’autres dans des boites en carton aux trois quarts pleines. Le département d’archéologie et d’ethnologie du musée national d’histoire naturelle de Santiago avait engagé Francesca, un an plus tôt, pour étudier les dernières découvertes de l’île de Pâques menées par l’équipe du conservateur Cristobal Sanchez. Plusieurs assistants avaient occupés ce poste avant elle mais la plupart n’y étaient restés que quelques mois, la raison en était au caractère insupportable du Dr. Sanchez que tout le monde avait fini par surnommer Cristobal l’hystérique. Le tempérament de Francesca était parfaitement ajusté à celui de son supérieur : peu bavarde et vive d’esprit. Cependant, elle ne se laissait pas déborder par la forte personnalité du scientifique et n’hésitait pas à lui tenir tête lorsqu’elle se savait avoir raison.
Seule dans la pièce, assise devant la table à tréteaux et entourée d’étagères chargées de l’histoire Pascuans, Francesca analysait, dessinait et répertoriait ce que les archéologues lui apportaient. Une fois le premier lot d’objets étudié, la jeune femme s’intéressa aux fragments de pierre empilés sur sa gauche. Elle se saisit d’une plaquette rectangulaire de vingt centimètre sur quinze et la manipula délicatement. Son épaisseur ne dépassait pas les deux centimètres. Elle examina attentivement les signes gravés sur l’une de ses faces puis attrapa une feuille de papier et reproduit avec fidélité l’inscription et les formes de la pierre. Une bonne heure lui fut nécessaire. Lorsqu’elle releva la tête, elle expira comme si elle avait retenu sa respiration tout ce temps et qu’elle sortait enfin à l’air libre. Elle se laissa baigner par la chaleur du soleil, désormais à son zénith. Elle posa son crayon et reporta son attention silencieuse sur l’objet. Rares étaient les témoignages d’écriture sur l’île de Pâques et la similitude entre cette pierre et les tablettes inscrites en rongorongo ne faisait aucun doute. Néanmoins, Francesca nota une différence majeure : la matière. Toutes les tablettes retrouvées jusqu’à présent étaient en bois. Il existait bien des pierres sculptées mais il s’agissait de blocs de grandes tailles éparpillés sur l’île et pourvues de glyphes différents du rongorongo. La pièce que tenait Francesca était unique et sans précédent. L’originalité de cette trouvaille fit pétiller les yeux de la jeune femme car elle s’ajoutait aux nombreux mystères qui entouraient les tablettes et son écriture indéchiffrable. De ses doigts, elle suivit les signes finement creusés représentant des formes abstraites. Un jeu de lumière apparut soudain à la surface de la plaquette. Francesca observa plus en détails la pierre et tenta d’extraire une mince lame pour l’observer au microscope mais elle résista. À première vue, la matière ne ressemblait en rien à ce qu’elle avait pu voir et apprendre sur la géologie de l’île. Il semblait plutôt s’agir d’un mélange de plusieurs matériaux bien présents sur l’île. Elle posa la plaquette et s’adossa à sa chaise, déroutée.
La dérive du Transespace
Les spots publicitaires avaient beau mettre en avant « le tourisme spatial à la portée de tous », vivre de longs mois confiné dans un vaisseau avec les mêmes personnes et une nourriture lyophilisée insipide n’était pas aussi simple. Jenny, Harper et Mariz en savaient quelque chose. Cela faisait sept mois qu’ils avaient quitté la colonie d’Espino, implantée sur Mars, et l’atmosphère était pesante à bord. Pourtant, ils avaient l’habitude de voyager ensemble. À plusieurs reprises, ils s’étaient rendus dans les comptoirs martiens les plus éloignés pour y réaliser des reportages, avaient visité les satellites, Phobos et Deimos, pour vendre par la suite leurs meilleures images, et enfin participé au Tour de la planète rouge en spationef léger (où ils avaient remporté la 410e place). Mais, il leur manquait une ultime destination : la Terre. Elle était considérée comme le périple à faire au moins une fois dans sa vie. Forts de leurs nombreuses expériences, les trois amis avaient décidé de franchir le pas et de s’atteler à ce nouveau voyage. Ils avaient économisé pour rassembler la nourriture et l’équipement nécessaires à deux années d’expédition.
Les cartes du jeu
Elya faisait les cent pas dans son appartement, le colis qu’elle venait de trouver l’inquiétait. Aucun facteur n’était venu le lui apporter, et elle ne se souvenait pas de l’avoir pris dans la boite aux lettres. Pourtant, il était bien là, posé à même le sol, dans son entrée. Sur l’étiquette, la marque du Jeu, une lettre « J », était apposée près de son adresse. Un signe de mauvais augure. Elle devait prévenir les autres. Elle attrapa son téléphone portable et informa ses amis. Ils n’habitaient pas très loin et seraient chez elle dans une dizaine de minutes. En attendant, elle déplaça avec précaution le colis sur la table du salon et tourna autour sans le quitter des yeux. Elle résista à la tentation de l’ouvrir, car elle redoutait son contenu. La dernière fois, elle avait reçu un carton rempli de journaux aux bords tellement saillants qu’elle s’était fait une entaille sur toute la paume de la main. Une autre fois, elle avait failli s’empoisonner avec des macarons, soi-disant envoyés par un ami, mais en réalité expédiés par le Jeu. Sa cruauté n’avait d’égale que son pouvoir. En créant la prison temporelle, il avait débarrassé les années 2150 à 2180 de tous les criminels et opposants politiques qui se trouvaient sur sa route. Ils les avaient envoyés purger leur peine dans le passé, à des époques plus ou moins lointaines. Mais le Jeu ne s’était pas arrêté là. Aidé du professeur Dahir, il mit au point le moyen d’éliminer à distance ces mêmes condamnés. Ces deux esprits machiavéliques s’amusaient à traquer, harceler et piéger les hommes à travers le temps. Et c’est avec plaisir et méchanceté qu’ils regardaient leurs plans fonctionner. Elya et ses amis avaient survécu au XXe siècle, car ils avaient su se soustraire aux yeux du Jeu, mais cela ne durait pas longtemps et les attaques reprenaient plus ingénieuses que jamais. À présent, il était de retour avec ce colis.
Observateurs du temps
« J’ai été muté sur une planète que ses habitants appellent la Terre ; ma mission consiste à étudier les peuples qui y vivent et à relever tout ce qui s’y passe. Je suis considéré comme un éclaireur car la Terre se trouve à la périphérie des mondes connus d’Exanor, mon lieu de rattachement. J’ai été formé pour ce travail d’observation : je connais et je maîtrise les deux types de déplacements majeurs, celui dans l’espace et celui dans le temps. Grâce à eux, je peux me téléporter à n’importe quel endroit et à n’importe quelle époque mais, comme toute technologie, il y a des limites. Les scientifiques d’Exanor ont créé un quadrillage qui, spatialement, couvre l’ensemble des systèmes explorés de la voie lactée et qui, temporellement, part de la création de la galaxie jusqu’au temps présent. Nos capacités de déplacement sont uniquement utilisables à l’intérieur de ce quadrillage à quatre dimensions et sont rudement contrôlées. Malheureusement, il est déjà arrivé que certains dépassent par inadvertance les limites de cet espace ; nous n’avons jamais su ce qu’ils étaient devenus.
Toutes les observations que je rapporte sont analysées par le Conseil Supérieur des Cultivés, ma hiérarchie.
En résumé, je suis un observateur du temps ». L’homme fit une pause en levant le doigt du bouton de l’enregistreur. Cette partie, il la connaissait par cœur car elle servait toujours d’introduction aux rapports d’activité. La suite était plus fastidieuse et plus longue à raconter. Il se racla la gorge, s’humecta les lèvres et reprit : « Il y a de cela trois jours terriens, je suis allée en Italie et pour la première fois j’ai eu peur. Je vous détaille ici la suite des évènements qui se sont succédés.
Le temps dans lequel je me situais était celui que les historiens du XXIème siècle appelaient époque romaine. Alors que je suivais le déroulement d’une journée ordinaire d’une famille bourgeoise de Pompéi et que je notais tout ce que je pouvais observer, nous sommes entrés dans une boutique de vêtements. Il y avait d’autres clients c’est pourquoi j’hésitai à prendre des empreintes photographiques de la pièce. La mère de famille, Claudia, voulait acheter des toges pour ses deux fils ; le vendeur l’écoutait attentivement. Comme dans toutes mes missions d’observation, je suis un être invisible. Pourtant, sur ma droite, un homme me regarda soudainement et fixement. Surpris, je restai immobile et le regardai de la même manière, me demandant s’il me voyait réellement. Il se mit à sourire et commença à s’avancer vers moi. Terrifié à l’idée d’être repéré et de devoir entrer en contact avec une personne de cette planète alors que c’était formellement interdit, je reculai puis sortit précipitamment du magasin. Une fois dehors, je fis aussitôt un saut jusqu’au bout de la via appia et regardai derrière moi si l’homme m’avait suivi.
Un amour si lointain
Des gouttes d’eau atteignirent son visage, une pluie fine s’installa doucement et arrosa son corps étendu au bord du chemin de terre. Lucie ouvrit les yeux et regarda le ciel, hébétée. Des nuages noirs s’accumulaient dangereusement et menaçaient de déverser un peu plus qu’une simple ondée. La jeune femme se redressa péniblement sur un coude, puis massa son crâne douloureux. Une plaine marécageuse s’étendait autour d’elle sur plusieurs kilomètres, au loin des collines se cachaient inégalement dans la brume. L’épisode pluvieux s’accentua, l’eau s’infiltra dans ses vêtements. Encore sonnée, la jeune femme se leva et embrassa du regard les environs. Seul le chemin boueux témoignait d’une présence humaine, elle décida de le suivre en espérant trouver un abri.
Elle n’était pas censée être ici. Son contrat spécifiait deux choses : arriver vivante à destination et être propulsée dans une région au climat chaud et sec qu’elle connaissait bien. Certes, elle était debout, en un seul morceau, mais l’endroit lui était étranger. Le vent s’était ajouté à la pluie et accentuait la froideur des lieux. Habillée légèrement pour l’occasion, elle n’avait pas prévu d’être exposée à un milieu aussi hostile. Elle enfonça la tête dans les épaules, serra les bras autour de sa poitrine pour éviter de greloter et marcha à pas rapides. Quelque chose avait échoué, elle en était sûre. Elle étudiait Constantinople au VIe siècle et il n’y avait ici aucune trace de la ville, ni même de ses environs. Cette contrée ne rappelait en rien celle qu’elle avait déjà maintes fois visitée. Les ingénieurs s’étaient-ils trompés dans la configuration de son voyage temporel ? Elle accéléra le pas de plus en plus énervée. Il lui fallut une bonne heure de marche pour sortir des marécages et atteindre le sommet de la première colline. Un peu plus loin, un amas de pierres attira son attention, cela ressemblait à une petite tour circulaire.
Pour une larme d’Archène
Tek se plaqua contre le mur d’une maison et retint son souffle, un Valtyre venait d’apparaitre au bout de la rue. L’immense masse de deux mètres de haut avançait à pas lourd, son corps mi-homme mi-loup semblait le gêner dans ses déplacements, ou peut-être était-il aux aguets ? Avec lenteur, il se balançait à gauche et à droite, laissant les traces de ses deux pattes dans la fange de la rue. Tek savait que l’animal était aveugle, mais aussi qu’il possédait un odorat psychologique digne d’un grand prédateur. Il l’avait senti, elle en était sûre. Elle hésita. Si elle s’élançait dans la rue, le Valtyre pourrait l’entendre et la rattraper aussi rapidement qu’un balai une araignée. Par contre, rester à sa place n’était pas des plus confortables. Le bruit du vent pouvait effacer son odeur et sa respiration, mais rien ne pouvait cacher sa présence de l’homme garou. Tek ferma les yeux et se concentra sur les battements de son cœur. Le mieux était de ne pas bouger et de ne pas transmettre d’émotion. Un peu plus loin, les pas se faisaient de plus en plus proche. Le temps sembla s’arrêter. Tek ne sentait plus son corps, elle flottait au rythme de son cœur, dénuée d’attaches. La réalité s’était éloignée d’elle. Son absence lui évita de se faire repérer par le Valtyre. Pourtant, s’il avait des yeux pour voir, il n’aurait pas manquer cette aura bleutée qui s’était formée autour de la jeune femme tel un bouclier protecteur. Il passa devant elle sans tourner la tête et s’éloigna tout aussi lourdement. L’esprit de Tek s’était envolé au-dessus de la rue et regardait l’animal disparaitre quelques rues plus loin. Elle put rejoindre son corps sans risque.
Carbonifère modifié
Le chantier de fouille était calme, seul restait Dantec. Ses collègues géologues et paléobotanistes avaient recouverts de grandes bâches leurs zones de travail. Ils avaient ensuite rassemblé le matériel, chargé le tout dans un des deux 4×4 puis étaient partis en direction du laboratoire. Dantec était paléontologue et le chef d’équipe de la mission. Absorbé par la découverte tardive d’un fossile, il leur avait signifié de ne pas l’attendre. Pourtant, le soleil déclinait et la lumière n’allait pas tarder à disparaître. La plaine rocailleuse et déserte qui s’étendait tout autour n’était pas fréquentée. De façon éparses, des herbes se frayaient un chemin entre les cailloux. Les lieux n’attiraient la plupart du temps que des géologues. Le paléontologue était allongé, accoudé sur le côté droit et penché attentivement au-dessus d’un fossile à peine dégagé. Muni d’un pinceau, il nettoyait soigneusement les restes d’un vertébré ; la gangue maintenait les ossements en place et permettait de voir au fur et à mesure du dégagement l’agencement des os. Les yeux de Dantec ne quittaient pas les contours des ossements que son pinceau frottait légèrement. Il détaillait en même temps les caractéristiques du squelette pour déterminer à quel animal il appartenait. Même s’il avait déjà une idée, il préférait rester dans le doute tant que le fossile n’était pas entièrement dégagé.
Long d’une quarantaine de centimètres, l’animal fossilisé était un Archaeothyris. Dantec en avait étudié un sur un autre chantier de la même région mais celui-ci avait un squelette complet ce qui en faisait un spécimen rare. Le crâne triangulaire de l’animal était percé de deux orbites latérales, des dents pointues et de tailles différentes étaient visibles sur le côté de la mâchoire. Une longue colonne vertébrale similaire à celle d’un grand lézard s’étalait sinueusement dans la terre. Quatre pattes, agrémentées de griffes, partaient de chaque côté. Le soleil se couchait et des ombres de toutes tailles commençaient à caresser le fossile. Passionné, Dantec continuait son analyse. Cet animal terrestre et carnivore était connu pour avoir vécu il y a 300 millions d’années, au Carbonifère supérieur. Dantec releva la tête pour attraper son sac à dos quelques mètres plus loin et se trouva nez à nez avec une branche de fougère. Il faillit éternuer. Surpris, il s’assit et regarda ce qui se passait autour de lui. Des milliers de fougères poussaient à une vitesse incroyable. Le parterre rocheux qui s’étendait jusqu’à présent était recouvert d’une couverture verte. Le soleil déclinant nourrissait de ses derniers rayons une végétation de plus en plus luxuriante. Dantec voulut se lever mais des racines l’en empêchèrent ; elles s’étaient enlacées autour de ses chevilles et grimpaient le long de ses jambes au fur et à mesure de leur croissance. Dantec eut peur, il remua d’abord ses pieds pour se dégager. En vain. Il arracha alors furieusement les racines et se mit debout. À ce moment-là, il vit pousser au milieu des fougères des plantes plus hautes et même de véritables arbres. Le 4×4 se fit littéralement défoncer par l’apparition soudaine d’un conifère aux proportions stupéfiantes qui le propulsa en morceaux dans les airs. Dantec entendit le craquement du bois s’élever dans le ciel et le déploiement végétal à son sommet. En quelques minutes, le paléontologue se fit engloutir par une forêt exubérante.